L’urgence de situer correctement le transfert

L’urgence de situer correctement le transfert
Susana Huler

 

Plusieurs modalités du transfert coexistent au sein de l’École : le transfert produit par la falsche Verknupfung que l’analysant met en acte entre l’analyste et les autres figures de sa vie, et le transfert de travail entre les analystes qui, à ma connaissance, n’a pas été décrit comme étant lui aussi le produit d’une falsche Verknupfung.

C’est parce que l’Autre n’existe pas qu’on crée l’École. Jacques-Alain Miller remarque [1] qu’au moment où Lacan fondait son École en 1964, il faisait référence à l’antiquité, à un temps où l’École philosophique était un moyen de trouver un abri du malaise dans la civilisation, une voie pour apprendre à faire face à ce que la vie nous réserve. Sans doute l’École psychanalytique ne nous protège pas de l’inconfort (Unbehagen) dans la civilisation, encore moins depuis que Miller a inauguré le mouvement ZADIG, en proposant un autre moyen de traiter ce malaise ; ce mouvement ne produit pas du confort (selon mon expérience en Israël), mais probablement il nous enseigne à croire au réel sans y adhérer et, de surcroit, à le contrer.

L’accent que Miller a mis sur sa lecture de la préface de Lacan à l’édition anglaise du Séminaire XI [2] porte sur un mot absent; ce mot est le transfert.

Miller attire l’attention sur le fait que Lacan arrête de parler du transfert afin de donner du relief à la satisfaction que chacun espère obtenir d’une analyse. C’est l’urgence d’obtenir cette satisfaction qui amène l’analysant à la séance suivant, et non pas l’amour pour l’analyste.

Cet éclairage est très important parce que le transfert-amour, c’est une illusion qui endort autant le patient que l’analyste et peut les détourner de leur travail à l’égard du réel. Il peut faire virer la relation en refuge contre le réel à la place de constituer un travail nous permettant précisément de se risquer à lui faire face, de faire face à ce qui exige de nous d’assumer l’irréfutable et de faire avec ce qui ne peut pas être réparé.

Lacan précise, dans “La troisième” (Rome, 1974), que l’analyste est responsable du discours qui lie l’analysant non pas à l’analyste, mais au couple analyste-analysant.

Miller, entretemps, dans son discours de 2006 [3], aussi bien à Rome, conclut sa présentation en affirmant que les analysants d’un analyste, même ceux couronnés du titre d’Analyste de l’École, ne sont pas ses œuvres d’art.

Les deux éclairages me paraissent urgents puisqu’ils exigent que nous adoptions une certaine modestie et que nous nous demandions quel type de partenaire nous voulons être pour nos analysants et pour nos collègues de l’École. L’École permet une pluralisation du transfert, un phénomène que nous étudions dans les psychoses. Au sein de cette pluralité, nous apprenons « que, si dans cette course à la vérité, on n’est que seul, si l’on n’est tous, à toucher au vrai, aucun n’y touche pourtant sinon par les autres [4] ». Cela signifie que dans l’École on cherche une satisfaction qui autorise l’invention de chacun d’entre nous supporté par la présence des autres. Ce qui pousse à une manière plus intéressante et profonde de vivre les mirages de l’amour.

Traduction : Lorenzo Speroni

1 Cf, Miller, J.-A., Filosofia <> psicoanalisis, L’envers de Paris. Editorial Tres Haches, 2005.

2 Miller, J.-A., Sutilezas Analiticas, « L’orientation lacanienne. Choses de Finesse », cours du 21-01-2009.

3 Cf, Miller, J.-A., « Les objets a dans l’expérience analytique », La Lettre mensuelle, n° 252, Paris, ECF, 2006, p. 8-12.

4 Lacan, J., « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipé », Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 212.