La vérité menteuse
La vérité menteuse
Charis Raptis
Dans son écrit testamentaire, « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », Lacan déclare avoir laissé la passe « à la disposition de ceux qui se risquent à témoigner au mieux de la vérité menteuse[1] ».
C’est avec ces mots que Lacan épingle ce que Jacques-Alain Miller appelle « la passe du parlêtre ». Étonnant déplacement: dans la doctrine classique de la passe, le sujet est supposé témoigner d’un savoir alors que le parlêtre ne peut témoigner que d’une vérité menteuse; c’est-à-dire, d’un savoir en tant qu’élucubration, en tant que fiction structurée comme une vérité[2].
À la fin de l’enseignement de Lacan, nous explique Miller, la vérité rencontre la question du réel par la catégorie de l’impossible et n’entre ainsi dans le réel qu’à se faire menteuse. L’impossible constitue une sorte de dé-limitation entre le vrai et le réel; un réel qui est de toujours rencontré sous les espèces de l’impossible à dire lié à l’incompatibilité de la parole soit avec l’aveu du désir soit avec le feu de la pulsion[3].
À cet égard, comme précise Bernard Seynhaeve, l’urgence qui pousse le parlêtre consiste « à tendre vers la vérité que recèle le réel[4] », une vérité rétive au signifiant. Dans cette perspective, un analyste, ce serait quelqu’un qui saurait serrer le décalage entre vérité et réel; et la passe, ce serait le moyen analytique de faire passe de l’impasse de l’impossible à dire, ou à hystoriser – de l’invraisemblable de la jouissance.
1 Lacan, J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », The Lacanian Review 6, NLS, Paris, 2018, p. 24.
2 Miller, J.-A., « La passe du parlêtre », ibid., p. 134.
3 Miller, J.-A., « L’esp d’un lapsus », ibid., p. 70.
4 Seynhaeve, B., « Argument du congrès 2019 de la NLS », ibid., p. 20.