Que cache ledit « Cht » et pourquoi ?
Que cache ledit « Cht » et pourquoi ?
Reginald Blanchet
Ce que ces trois lettres cèlent c’est l’identité de quelqu’un : « ce qu’un Cht me disait[1] ». « Cht » est donc en l’occasion son nom. Inadmissible au registre des noms propres de la langue française, c’est donc un nom impropre. De ce fait la personne qu’il indexe n’est pas nommée. C’est la décision inflexible à laquelle se tiendra également Lacan pour ce qui la concerne depuis la scission de la Société Psychanalytique de Paris qui les opposa violemment l’un et l’autre[2]. On ne trouvera en effet dans le corpus lacanien postérieur à cette date pas une seule fois la mention du nom proscrit. Lacan y manquera une seule et unique fois, et ce sera l’hapax de la jaculation aux consonances désobligeantes « Cht » de la « Préface ».
Lacan indique très précisément, à mots couverts toutefois, l’identité de l’auteur qui est l’objet de sa critique assidue dans les années cinquante. La note 1 de la page 590 des Écrits[3] (ainsi que les pages 587 et 589) nous fait connaître que ce dernier a signé l’article intitulé « La thérapeutique analytique », parue dans le premier volume de La psychanalyse d’aujourd’hui (1956). Il est aussi « le doctrinaire de l’être de l’analyste », du « don inné » qui serait requis en l’espèce. Il est encore celui qui ne manquait pas de flatter Lacan, alors son collègue et son intime voire un allié de prix, d’être analyste-né. Il sera enfin celui que Lacan vilipendera en le reléguant définitivement dans l’anonymat lorsqu’il énoncera à son adresse en 1976 que « le débile, soumis à la psychanalyse, devient toujours une canaille[4] ».
Le mystère du « Cht » se lève dès lors aisément puisque l’on sait sans conteste possible à qui réfère la série des indications données par Lacan. C’est Sacha Nacht. Le « Cht » est alors le chiffre prélevé sur le nom propre maintenu sous la censure. C’est sa fonction d’être le sarcasme d’un nom propre impropre à nommer dès lors que son porteur est assigné aussi bien au registre de l’innommable.
1 Citation commentée : « Ce qu’un Cht me disait, c’est que je l’étais, né », Lacan, J., « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », The Lacanian Review 6, « ¡Urgent ! », NLS, Paris, 2018, p. 24.
2 Voir sa lettre en date du 21 juillet 1953 à Heinz Hartmann : La scission de 1953. Documents édités par Jacques-Alain Miller. Note liminaire de Jacques Lacan, Lacan, J., Navarin, Paris, 1990, p. 136.
3 Cf, « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Lacan, J., Seuil, Paris, 1966.
4 [Lacan, J., « Note liminaire à la présentation de La scission de 1953 », op. cit., et aussi in Ornicar ? 1976, p. 3.] Il n’est que de suivre le regard de Lacan dans sa « Note liminaire » au volume cité : un seul, le même, apparaît tout au long de cette correspondance comme l’instigateur central de la scission, manœuvrier assoiffé de pouvoir, dénué du moindre scrupule et médiocre théoricien de surcroît, débile donc.