L’urgence d’un corps vivant
L’urgence d’un corps vivant
Marina Frangiadaki
L’avion atterrit. J’attrape ma valise et je cours à mes séances d’analyses, mes contrôles, les activités de l’École. Après quinze ans à Paris, ça fait un moment que je suis installée à Athènes et que je continue l’analyse au rythme de courts séjours.
Une urgence répétée opère, liée à une satisfaction du déchiffrage de l’inconscient dans une analyse qui a produit un changement de position subjective et des effets thérapeutiques extraordinaires pour le sujet.
J’arrive dans le quartier du cabinet de l’analyste. Pour une fois, je décide de prendre un café avant d’y aller. Dans ce temps de pause, je commence à chantonner une chanson de ma petite enfance. Une chanson d’amour dont le refrain exprime un amour inconditionnel : « J’ai décidé que sans toi je ne pourrais pas vivre. » La petite fille que j’étais chantonnait la chanson à sa mère mais elle avait transformé les paroles à une reprise en boucle des syllabes hors sens accompagnées d’une jouissance de lalangue. Cela donnait un refrain où la négation de la phrase était effacée : « … sans toi je peux vivre. » Une déclaration d’amour avec une volonté de séparation de l’Autre.
Je le raconte en séance ; j’aborde le transfert : « Je croyais que vous seriez là, à vie. » Coupure de la séance.
La phrase là, à vie résonne autrement décomposée avec son équivoque. J’esquisse une écriture du nœud du transfert.
Là, La femme que l’analyste avait incarnée pendant un temps pour l’analysante en quête du mystère de la féminité.
à, l’objet a que j’avais logé chez l’analyste, et notamment l’objet voix, ayant longtemps souffert d’un symptôme tenace qui m’empêchait de prendre la parole.
Vie, le sentiment de la vie, soit un réel dont la quête du sens était une impasse. C’est d’ailleurs ce qui m’avait conduit à l’analyse dans une urgence subjective, une urgence de vie et de mort.
Désormais, l’urgence surgit sous le mode d’une autre satisfaction : celle d’un corps, encore, mon corps vivant qui se déplace dans un circuit désirant.