L’urgence du deuil
L’urgence du deuil
Michèle Laboureur
La position du deuil est une urgence qui se présente devant la perte de quelqu’un de proche. Le trou ouvert dans le réel par la disparition, les signifiants ne peuvent le combler[1] d’autant qu’il y a un manque dans le signifiant moins phi. Lacan parle de l’ek-sistence du réel mais du trou du symbolique dans le séminaire Le Sinthome[2].
Freud indique que le processus de deuil prend du temps, il consiste à défaire les liens libidinaux qui vous attachaient à l’être disparu.
La question se pose : Qu’était-il pour moi? Qu’étais-je pour lui? Comment se décoller de ce que j’étais pour lui, comment s’en séparer, ceci est une définition de la castration de l’Autre. Ainsi ce processus nous semble rencontrer un parallèle avec l’identification qui opère par trait, l’identification au trait unaire[3]. D’ailleurs Lacan commente Freud en disant : « Le deuil consiste à identifier la perte réelle, pièce à pièce, morceau par morceau, signe à signe, élément grand I à élément I, jusqu’à épuisement[4]. »
Lacan reprend dans le séminaire L’insu …[5] les modes identificatoires[6] et les articule aux modèles topologiques qu’il a proposés, obtenus par différentes coupures.
Par le deuil nous sommes renvoyés à la détresse originelle. La réduction du vivant à l’inanimé, c’est un réel qui ek-siste, impossible. Ce pourquoi Lacan a fait le nœud borroméen et surtout la topologie, qui cerne et rend compte de ce réel.
Il est un objet particulier dont le deuil fut impossible à Hamlet, le deuil du phallus, terme que Lacan utilise pour désigner ce que Freud appelle déclin de l’Œdipe[7]. Lacan nous dit que, lorsque, blessé à mort, Hamlet a renoncé à tout investissement narcissique[8], alors « il s’identifie au signifiant fatal », « au phallus mortel[9] ».
Avant de rapporter l'identification aux trois registres ISR, Lacan spécifie deux types d'identification, l’une signifiante, l’autre en rapport avec l’objet a et qui introduit un processus de séparation Cet objet a cerné dans la pulsion est ce qui introduit « le sens du sexe » « ses significations toujours susceptibles de présentifier la présence de la mort[10] ».
D’où en fin d’analyse, « le deuil de l'objet », la chute de l’objet, où l'analyste se tenait et la séparation du sujet[11].
1 Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, La Martinière, Paris, 2013, p. 398-9.
2 Lacan J. Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Seuil, Paris, 2005, p. 36.
3 Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts de la psychanalyse, Seuil, Paris, 1973.
4 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, Seuil, Paris, 1991, p. 458.
5 Lacan J., L'insu que sait de l'une bévue s'aile à mourre, Ornicar 12/13.
6 Présentation par J.-J. Bouquier, Analytica vol. 46, Navarin 1986.
7 Lacan J., Le Séminaire, livre VIII, Le transfert, op. cit, p. 408.
8 Lacan J., Le Séminaire, livre VI, Le désir et son interprétation, La Martinière, Paris, 2013, p. 398-399.
9 Ibid, p. 392.
10 Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts de la psychanalyse, op. cit, p. 230-231.
11 Lacan J., « L'etourdit », Autres écrits, Seuil, Paris, 2001, p. 486.