L’urgence dans la cure
L’urgence dans la cure
Vlassis Skolidis
On évoque souvent l’enthousiasme qui caractérise le premier temps d’une analyse. Le sujet découvre les délices de la vérité (il ne sait pas encore qu’il s’agit d’une vérité menteuse). Si urgence il y a, elle prend désormais la forme d’une urgence pour le sens, pour découvrir la signification de son désir, pour donner sens à son être. Le mathème de l’urgence subjective serait la production du savoir telle qu’elle est illustrée par le discours de l’hystérique : le sujet comme manque à être, (S barré), interroge les signifiants-maitres de son histoire, les signifiants-maitres de l’Autre, (S1), pour produire du savoir, (S2), c’est-à-dire des articulations signifiantes qui font sens. L’urgence symbolique est avant tout l’urgence dont est animé le sujet hystérisé.
L’urgence pour le sens est une urgence sourde, en sourdine. On pourrait dire aussi qu’elle a une certaine plasticité, qu’elle suit les modulations du transfert. Par ailleurs, il n’y a pas ici l’élément de la hâte, ni la sentimentalité qui caractérise l’urgence imaginaire de guérison. Cela ne veut pas dire pour autant que l’analyste n’y est pas impliqué. En l’occurrence, l’acte analytique consiste à maintenir le travail de l’analysant en état d’urgence. Une interprétation de Freud à un patient, illustre bien ce point : « je n’ai pas de temps à perdre ! ». Autrement dit, tout en permettant au sujet de prendre son temps, l’analyste doit préserver implicitement un impératif majeur de l’expérience analytique : on n’a pas de temps à perdre !
Si l’urgence implicite qui anime l’expérience analytique semble motivée par la quête du sens, elle s’avère progressivement imprégnée par la dimension de la jouissance, par une immixtion de la libido. En ajoutant du sens, on fait advenir la jouissance. En construisant son « je suis » en termes signifiants, le sujet fait apparaitre qu’il « se jouit » en tant qu’objet. La logique de la cure s’étend ainsi d’une urgence pour le sens à une urgence pour le réel de la jouissance. C’est ce que reflète le discours de l’analyste, formalisé par Lacan au Séminaire XVII : l’isolement des signifiants-maitres, (S1), en tant que séparés de toute articulation, équivaut à une chute de jouissance. L’épuisement du sens-joui fait à terme apparaitre le hors sens dont s’origine le rapport du parlêtre au langage.